Dialogues37#-Vendredi 6 juin 2025 -Festival écrire la nature-Gabrielle Filteau-Chiba/Mathieu Larnaudie-médiathèque de Laruns. Vallée dOssau.

Dialogues Aligre se fait oreille à l'occasion de plusieurs festival de littérature pyrénéens.
-Ecrire pour militer ? La nature comme personnage principal du roman. médiathèque de Laruns
Modération :Riccardo Barontini, agrégé d’italien et docteur en littérature française, professeur junior à la chaire "Enjeux écopoétiques contemporains" à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
-Gabrielle Filteau-Chiba- Hexa (stock 2025)
- Mathieu Larnaudie-Trash Vortex (acte sud 2024).
La 4 ème édition de ce festival de littérature intitulé "Ecrire la nature” à l’initiative de l’association “Ecrire la nature” présidée par Cédric Baylocq-Sassoubre, anthropologue, et animée par de dévoués bénévoles, appuyés sur le réseau associatif ossalois et l’accueil de la médiathèque et la municipalité de Laruns ( nous n’avons pas pu assister à la première partie du festival qui se déroulait à Pau, La Ciutat et à Jurançon), invite -avec générosité et exigence- à un petit voyage tout simple:
- entre ville et campagne: tiers lieu citadin dédié à la culture occitane (jeudi 5 juin à Pau) et espace rural ouvrant à la culture locale et universelle (médiathèque, cinéma, église, abbaye laïque de Béost, mais aussi espace montagnard habité et entretenu par le pastoralisme en Ossau, 6-8 juin)
- puis, à la rencontre de voix différentes et étrangères, à découvrir des lieux, des accents, des tonalités et des préoccupations différentes mais concomitantes pour bâtir un monde commun.
La force de ce festival, en ces temps bien troublés où la culture se veut de plus en plus distinctive ou discriminante, sans plus aucune protection contre la loi économique du plus fort et du commerce, ni de la démagogie, consiste à proposer exclusivement des rencontres gratuites dans des lieux intimes, qui rendent les échanges avec les auteurs très faciles (un peu comme le proposent régulièrement les rencontres en librairie).
Il s’agit en somme de mettre les auteurs en dialogue les uns avec les autres, à l'écoute de leurs motifs et du choix de forme de leur écriture et de leur style. Et surtout, de faire dialoguer tous les champs de la culture sans hiérarchie: poète, paysan, restaurateur, vigneron, chanteur, musicien, romancier, architecte, géographe, anthropologue, historien, botaniste, sportif, cinéaste.
La première rencontre à laquelle nous avons assisté s’intitulait :
-Ecrire pour militer ? La nature comme personnage principal du roman.
Riccardo Barontini, agrégé d’italien et docteur en littérature française, professeur junior à la chaire "Enjeux écopoétiques contemporains" à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour a assuré la modération et l’animation de cet échange très riche et facétieux, entre l’écrivaine québécoise Gabrielle Filteau-Chiba- Hexa (stock 2025) et le romancier et éditeur, Mathieu Larnaudie-Trash Vortex (acte sud 2024).
La lecture-un véritable exercice d’émerveillement et admiration dans lequel excelle l’autrice- d’un extrait de Hexa, a consacré cette fleur sublime des forêts du grand Nord et des hauts lacs alpins et pyrénéens, l’épilobe. Différents extraits du roman de M.Larnaudie, Trash Vortex, retraçant l’itinéraire d’une famille d’ultra riches et du petit canard en plastique Ferdinand, figure dérisoire du flux et du déchet flottant à la surface du vortex, de la liquidité du consommable et du consommé, ont invité à bâtir des ponts entre les textes, et à entendre- la dette des auteurs véritables (heureux d’apprendre un 6 juin -en ce jour de l’anniversaire de T.Mann- que l’admiration de la saga des Buddenbrook de Mann avait nourri l’inspiration de l’auteur tout autant que son travail sur le roman d’héritage du 19ème siècle). Il fut question donc, non du pouvoir miraculeux et démiurgique de l’écriture, mais de son service et sa bonne place, pour nous extraire-à discrétion- de l’ép(r)ouvante politique écologique ici et plus loin, là-bas, au Maroc (qui était le pays invité, cette année).
Sans aucun doute aussi, s’est dessiné là- en seulement quelques jours- le sens d’une communauté de ceux qui lisent et écrivent mais aussi, se promènent, palabrent, s’orientent, dessinent et bâtissent (l’architecte et anthropologue Salima Naji était présente pour la présentation de son travail d’architecte en images et de son livre (très riche en illustrations), Pour une éthique de la préservation, architectures du bien commun ( Metis presses)-, et d’une amitié autour des livres (Oui, la littérature se vit et s’écrit comme ”une amitié de gens qui aiment à prendre des vacances ensemble”, disait Mathieu Larnaudie à l’occasion des échanges).
Peut-être s’agissait-il d’interroger non seulement les fausses représentations que nous nous faisons de la fin de l’Histoire humaine (Apocalypse et eschatologie) mais surtout d’envisager les moyens très concrets de construire (dans une certaine économie de moyens) d’autres moyens de partager, de voyager, d’habiter, d’apprendre de la nature en la nommant et en la pratiquant, de proposer en somme une nouvelle histoire naturelle , à partir de deux engagements - ou militances- différents: pour l’un, l’agroforesterie (l’action de protection des espèces), pour l’autre, le pouvoir de la fiction pour la critique de l’histoire économique d’appropriation des moyens de production et de l’ultra libéralisme (p 168 et 169 Trash vortex), sur le sens des héritages et de la transmission, le principe de responsabilité reposant sur l’avenir des générations futures.
C’est ainsi qu’à la faveur de l’écoute de la vie de l’épilobe (G. Filteau-Chilba), sa résistance et sa persistance après les méga-feux (dont, souvenons-nous, nous recevions, l’an passé, jusqu’en vallée d’Ossau, les particules des forêts canadiennes brûlées par milliers d’hectares, donnant au ciel la charge floue et terreuse, une sorte de brume crayeuse, que nous lui connaissons, lors des traditionnels épisodes de vent de sud) se dessine une espérance ou tout du moins, une respiration, une ouverture, malgré l’histoire partagée et maintenant interdépendante des hommes soumis aux pires esclavages et crimes contre l’humanité, au fin fond de la Sibérie, comme aux appropriations et aux destructions les plus sauvages des forêts et des terres du Canada, du Groenland, de la Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Nord.
A entendre les conditions de vie de l’agroforesterie au nord du Québec, la nécessité de planter 2000 arbres par jour pour que la forêt subsiste et se renouvelle, on se figure davantage l’enfer que V.Chalamov décrit de l’esclavage forcé des prisonniers du Goulag, se tuant au travail du débardage (prêt bail (1965), récits de la Kolyma.)
Et c’est bien à cette nature comme personne, comme personnage de roman ou tout du moins comme être sensible, que l’on pense déjà, lorsque “la montagne nue” se refuse à recueillir davantage de fosses:
-“La Pierre, le nord s’opposaient de toutes leurs forces à cette œuvre de l’Homme en refusant d’accueillir les cadavres en leur sein. La pierre qui devait céder, vaincue et humiliée, se promettait de ne rien oublier, d’attendre et de conserver le secret.”
C’est pourquoi, les épilobes qui fleurissent sur les cadavres retenus dans le permafrost célèbrent au même titre que les pavots de Celan (ou l’épilobe de G.Filteau-Chibas, qui a bien heureusement reçu le prix fiction du festival) de la vigilance de la mémoire de l’histoire humaine, l’épilogue incandescent de leur bonté ou de leur méchanceté envers leurs semblables et la nature.
”Ensuite, je me rappelai la flamme avide de l’épilobe, la floraison impétueuse de la taïga, l’été qui s’efforce d’enfouir sous l’herbe et le feuillage toutes les réalisations humaines, bonnes ou mauvaises. Combien l’herbe est plus oublieuse que l’homme! Si moi j’oublie, l’herbe oubliera aussi. Mais le roc et le permafrost, eux, n’oublieront jamais”
V.Chalamov, Récits de la Kolyma, verdier, traduit du russe par Catherine Fournier, Sophie Benech et Luba Jurgenson.
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